Les principaux dirigeants syndicaux, réunis lundi au grand complet devant la presse, ont brossé un tableau plutôt sombre de l'état du syndicalisme français, mais le consensus ne va guère plus loin, vu la méfiance réciproque provoquée par la réforme des règles du jeu syndical.
Fait rare, assis derrière une même table par ordre alphabétique, les huit chefs de file (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC, FSU, Solidaires, Unsa) étaient invités lundi au Conseil économique et social à Paris par l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis), avant plusieurs de leurs congrès.
Inadaptation à la nouvelle donne économique (mondialisation, sous-traitance...), faiblesse de la représentation des femmes, des jeunes et des précaires, éloignement du terrain, répression syndicale: autant de "défis majeurs" pour l'avenir du syndicalisme relevés par ces leaders.
Faute de réaction, le syndicalisme français, proportionnellement le plus faible dans l'OCDE, "sera un peu plus moribond" dans dix ans, a prédit Bernard van Craeynest (CFE-CGC): "des militants vieillissants, 40% de départs en retraite" d'ici là.
Se voulant "provocant", Alain Olive (Unsa) a reproché au syndicalisme français de "défendre les salariés qui en ont le moins besoin".
Pour François Chérèque (CFDT), "les syndicats ne sont pas assez implantés dans les entreprises, pas assez proches des salariés", même s'"il n'y a jamais eu autant d'implantations syndicales".
La faute en incombe en partie, selon lui, à "la schizophrénie bien française", entre un discours officiel sur les vertus du dialogue et la répression syndicale. Bernard Thibault (CGT) a invité ses homologues à agir "ensemble" contre la discrimination, plutôt que "chacun dans son coin", sans recevoir d'autre appui que celui de Jacques Voisin (CFTC).
Malgré tout, a-t-il rappelé, "c'est en France qu'il y a eu les plus importantes mobilisations sociales" cette année. Cela a permis "des résultats" pour limiter les dégâts de la crise, ont estimé certains de ses alter ego.
Jean-Claude Mailly (FO) s'est voulu "globalement optimiste" car "tant qu'il y aura des salariés, il y aura des syndicats".
Dans une France historiquement marquée par l'éparpillement syndical, il a défendu le maintien du "pluralisme", comme les autres leaders. Mais le patron de la CGT a exhorté à "inverser ce cercle infernal" qui voudrait qu'au pluralisme des opinions corresponde obligatoirement le pluralisme des organisations.
Il n'a été suivi ni par FO, ni par la CFTC ni par la CFE-CGC, adversaires de la loi de 2008 refondant la représentativité sur la base de l'audience électorale. Ce texte, qui risque d'éliminer les "petits", avive les rivalités et complique le processus unitaire amorcé il y a un an en intersyndicale, ont glissé MM. Mailly et Gérard Aschieri (FSU).
La réforme va "figer le paysage syndical autour de deux organisations considérées comme les plus importantes" (CGT et CFDT), a critiqué Annick Coupé (Solidaires).
Le salut du syndicalisme français passe par l'apprentissage du "travail en commun", ont plaidé les dirigeants syndicaux, pas favorables à des fusions. "Mon identité, j'y tiens", a lancé M. Voisin.
"Je ne renonce pas à des rapprochements dans la mouvance réformiste", a confirmé M. Olive, excluant implicitement ses ex-amis de la FEN fondateurs de la FSU.
Celle-ci "expérimente des formes de travail en commun" avec la CGT et Solidaires, selon M. Aschieri.
Si la plupart des leaders ont plaidé pour la poursuite des échanges en intersyndicale, M. Chérèque a jugé qu'"une intersyndicale, par principe, est éphémère" et M. Mailly qu'"une intersyndicale qui deviendrait une instance permanente serait un syndicat".